Cifre (et contrats doctoraux de droit privé) et précarité

Hello,

Si vous naviguez dans les eaux parfois troubles du doctorat sous statut CIFRE, une récente évolution législative mérite votre attention. Jusqu’à présent, la question du droit à la prime de fin de contrat (aka « prime de précarité ») pour les doctorants en CDD CIFRE pouvait être un véritable casse-tête, certains employeurs refusant son versement, via des interprétations du code du travail aussi variées que contradictoires d’un tribunal à l’autre. Tout pourrait changer avec la loi de programmation de la recherche (LPR) n° 2020-1674 du 24 décembre 2020, qui pourrait apporter des clarifications bienvenues.

La LPR a en effet modifié le paysage des contrats doctoraux, en ajoutant notamment un nouvel article au code de la recherche (L412-3) qui définit la notion de « contrat doctoral de droit privé », précisant de fait les contours des contrats sous convention CIFRE. Aussi, l’article 6 de la LPR complète l’article L. 1242-3 du code du travail – souvent cité dans les décisions des tribunaux – en y intégrant explicitement les contrats doctoraux de droit privé.

L’un des points les plus saillants de cette LPR concerne donc la prime de fin de contrat. Avant cette loi, les entreprises pouvaient décider de ne pas verser cette prime (correspondant, précisons-le, à 10% du salaire brut sur la durée du contrat soit 7000 €), sans que le cadre légal ne leur oppose de véritable résistance. Les choses semblent changer, car l’article 6 stipule désormais clairement que les indemnités de fin de contrat ne sont pas dues en cas de rupture anticipée du contrat pour cause de non-réinscription du doctorant.

En définissant explicitement les conditions dans lesquelles la prime n’est pas due, l’esprit de la loi suggère que dans tous les autres cas, cette prime devrait être versée. Cette précision a le mérite de commencer à sortir la question de la prime de fin de précarité de la zone grise où elle se trouvait – une zone grise d’une certaine taille : voir le blog « Cifre et précarité » qui documente le parcours d’un doctorant, et liste de décisions de cour d’appel d’autres candidats. Cette évolution est notable car elle semble refléter une volonté législative de mieux protéger les doctorants sous contrats doctoraux de droit privé, en leur assurant une reconnaissance et une sécurité accrues.

Cependant, et il est important de le souligner, mon propos n’est pas de fournir une interprétation juridique définitive mais plutôt de signaler une tendance qui pourrait être favorable aux doctorants. C’est une interprétation qui mériterait d’être explorée et discutée, notamment avec l’aide d’un juriste spécialisé, pour en comprendre pleinement les implications et faire valoir les droits des doctorants.

C’est donc une évolution à suivre de près, et pour ceux qui sont directement concernés, il pourrait être judicieux de se renseigner davantage sur ces changements et, si nécessaire, de consulter un professionnel pour évaluer l’impact sur leur situation spécifique.

Voilà en bref !

J.

Le Paradoxe de JobTeaser : mon point de vue depuis l’ESR

Hello,

J’aimerais aujourd’hui partager avec vous quelques réflexions sur un sujet qui me taraude : la place de JobTeaser dans le recrutement des jeunes diplômés en France.

JobTeaser, pour ceux qui ne connaissent pas, est une plateforme de recrutement qui a réussi à s’imposer comme un partenaire essentiel des établissements d’enseignement supérieur en France. C’est pas compliqué : plus de 300 universités et écoles sont listées en tant que telles sur leur site internet [1]. Ce succès est dû, en grande partie, à la gratuité du service pour l’enseignement sup’ [2][3], et au fait que celui-ci semble être un outil efficace pour les services d’accompagnement à l’emploi des établissements. Bon par contre auprès des étudiants c’est pas ça ; un rapport cite qu’en 2019, seuls 2% des étudiants – même si ça me semble faiblard – connaissent la plateforme « pour sa dimension offres d’emploi » [4].

Néanmoins, cette réussite est un couteau à double tranchant. D’un côté, la plateforme offre un vrai vivier de talents qui est constitué en fin de cursus et centralisé chez JobTeaser. De l’autre, en tant que recruteur et bien que dans l’ESR, je me retrouve confronté à un problème de taille : pour que mes offres d’emploi et de stage soient visibles sur l’ensemble des job boards des universités, je dois passer à la caisse. En tous cas, je ne trouve pas trace de partenariat affiché ni avec l’Inraé, l’IRD, le CNRS… et du côté de mon organisme de tutelle le Cirad, après avoir demandé au service RH il n’y a pas non plus. Impossible donc d’accéder facilement à ce vivier de talents.

Cette position de quasi monopole sur les établissements d’enseignement supérieur est d’autant plus inquiétante quand on constate que JobTeaser, de par son excellent positionnement dans l’écosystème French Tech, est cité dans un nombre incalculable de supports de com’ de l’état, et fourré dans toutes les bonnes initiatives du gouvernement : « 1jeune1solution » [5], « la French Tech recrute » [6]… jusqu’à être le job board de la DGSE qui cherche pour le coup ouvertement à attirer des profils jeunes et tech [7].

Cela me fait me demander : pourquoi l’APEC, l’agence publique pour l’emploi des cadres qui possède déjà l’expertise nécessaire pour faire un travail équivalent, n’a pas été mobilisée sur les initiative sur-citées ? Pourquoi ne joue-t-elle pas un rôle plus important ? Pourquoi ne pas donner plus de moyens à l’APEC pour accomplir cette mission, plutôt que de laisser un acteur privé dominer le marché?

Et que penser de l’acquisition récente par JobTeaser de Graduateland, un concurrent nordique, renforçant ainsi leur position sur le marché européen [8] ? À mon avis, cette situation pose des questions cruciales sur l’équité d’accès au marché du recrutement des jeunes diplômés.

Je ne suis pas contre le fait de déléguer des compétences au privé, ni payer pour un service [9] (vous me connaissez, je suis le plus centriste de vos amis de gauche), mais ce qui me dérange, c’est ce sentiment d’impuissance face à un kidnapping : l’université et les écoles, dont un grand nombre d’établissements publics, forment des talents sur les deniers du contribuable. Ok. Ces talents alimentent les bases de données des job boards de leurs écoles, lesquelles percolent jusqu’à JobTeaser. Soit. Par contre, que l’ESR ne puisse pas en retour avoir accès à l’ensemble du vivier et ne puisse pas shooter ses offres d’emploi à tous les jeunes diplômés de France et de Navarre, ça flaire bon l’injustice, voire le vol. Et il faut rajouter à ça que dans la recherche publique, où on ne roule pas forcément sur l’or ce qui explique en partie une crise de l’attractivité (un argument choc pour la revalorisation des salaires dans les EPIC ces derniers mois), la barrière financière mise en place par JobTeaser (j’avais reçu un devis à 1800€ pour une diffusion large, faites la comparaison avec le budget d’un stagiaire de fin d’études à 5k€) complique l’attraction des talents, alors que ce ne sont ni les idées, ni les offres qui manquent.

Donc dans l’ensemble, je serais content si JobTeaser laissait a minima la possibilité à l’ESR en France de diffuser largement ses annonces sur… les job boards de l’ESR.

Bref, je suis convaincu que nous avons besoin de plus de transparence sur le marché du recrutement des jeunes diplômés, car JobTeaser n’est qu’un exemple parmi d’autres [10], et que ça ne semble pas questionner le moins du monde les universités autonomes depuis peu [11]. Ce n’est qu’en donnant à tous les acteurs, publics comme privés, un accès équitable à ces ressources que sont nos jeunes diplômés que nous pourrons véritablement optimiser notre potentiel collectif, dans un contexte assez malaisant de désertion des nouvelles recrues face à l’urgence climatique (oui, il fallait une conclusion grandiloquente).

C’est un sujet complexe, et je suis curieux de connaître vos points de vue. N’hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous pour partager vos idées.

A bientôt,

J.


Références :

[1] Sur le site de JobTeaser, 13 pages de listing d’établissements d’enseignement supérieur, soit plus de 300 établissements listés rien qu’en France https://www.jobteaser.com/fr/corporate/notre-reseau-d-ecoles-et-d-universites

[2] Sur ce tableau des conventions de partenariat de l’ENS, on voit une ligne JobTeaser chiffrée à 0€ https://ens-paris-saclay.fr/sites/default/files/2018-10/VII%20-%20Tableau%20des%20conventions%20%28information%29.pdf

[3] Rapport « Structurer la fonction recrutement », dans lequel on lit « La direction du budget expérimente l’utilisation de l’outil « Job teaser », rendu accessible gratuitement aux écoles et qui proposent à leurs étudiants pendant leurs études, et une fois en poste jusqu’à 4 ans d’expérience, un « jobcorner » comprenant des informations, des évènements et la diffusion d’offre d’emploi des entreprises et des administrations partenaires » https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/Publications/Transformation%20RH/guide_structurer_la_fonction_recrutement.pdf

[4] Rapport « Evaluation de l’application du mandat de service public 2017-2021 de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) » https://igas.gouv.fr/IMG/pdf/2020-068r_annexes_et_pieces_jointes_numerotees_.pdf

[5] https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/cp_mtei_-1jeune1solution.gouv.fr-_de_nouveaux_services_pour_accompagner_les_jeunes_dans_leurs_recherches_d_emploi.pdf

[6] https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/secteurs-d-activite/numerique/communique_de_presse_partenariat_french_tech_x_jobteaser.pdf

[7] https://www.lejdd.fr/societe/exclusif-dgse-comment-la-dgse-veut-recruter-des-espionnes-132311

[8] https://press.jobteaser.com/jobteaser-acquiert-son-concurrent-nordique-graduateland

[9] « Vers un service privé de l’emploi? » https://www.parlonsrh.com/media/vers-service-prive-emploi/

[10] https://www.alliancy.fr/les-start-up-rh-et-pole-emploi

[11] https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2020/31/3/IGESR_Mission_insertion_professionnelle_universite_Bilan_loi_LRU_1374313.pdf

Lavarenne et al., 2019 is out !

La Coupe Icare


Rien à faire, l’an prochain j’y vais !

La mourra, qu’es acò ?

MourraThumb

Hello !

Aujourd’hui, un rapide clin d’oeil au patrimoine vivant des Alpes du Sud, avec l’immortel jeu de mourra, toujours pratiqué dans nos vallées de l’arrière-pays niçois.

La mourre est un jeu dans lequel deux joueurs se montrent simultanément un certain nombre de doigts, tout en annonçant chacun la somme présumée des doigts dressés par les deux joueurs. Gagne qui devine cette somme. Ce jeu ne fait donc pas appel aux lois du hasard puisque aucun générateur de hasard n’est utilisé. On peut par contre parler d’incertitude. Un joueur trop prévisible perdra face à un joueur capable de vivacité, d’attention, d’intuition et d’observation. (source Wikipedia)

Curieux d’en savoir plus ? Prenez quelques minutes pour regarder la partie ci-dessous, et allez donc faire un tour sur le site de la mourra dei quatre cantouns !