Il est six heures, Hanoï s’éveille.
A Tran Quoc Hoan, les sonorités urbaines ne sont pas les premières à se faire entendre en ce début de journée. En fait, ce sont les cocorico d’un coq non loin, mais surtout les sifflements des oiseaux chanteurs qui réveillent la rue. Les vietnamiens semblent friands de ces passereaux du genre Garrulax, qu’ils élèvent dans des cages en bambou finement travaillées et ornementées de mangeoires et abreuvoirs en porcelaine. C’est ensuite petit à petit que commence le ballet des motocyclettes, dont la symphonie est introduite par le ronronnement des moteurs cent-vingt-cinq centimètres cubes, va crescendo d’après chaque klaxonnant franchissement d’intersection, et atteint son paroxysme lors de l’entrée sur scène des artistes lyriques de cet opéra asiatique, les vendeurs ambulants, qui montent ou descendent la rue en vantant, avec ou sans amplification vocale, marchandises et promotions du coin.
Au début, l’heure du lever était fixée par l’instant à partir duquel les boules Quiès devenaient insuffisantes pour isoler mes tympans de cette urbaine mélodie. Le cerveau étant décidément une étonnante machine aux formidables capacités d’abstraction, le bruit n’est désormais plus dérangeant, et le réveil reste une arme nécessaire contre la flemme du matin.
Debout là dedans.
Les vietnamiens ont ceci de particulier qu’ils ont l’habitude de manger de la soupe au petit déjeuner. Bien décidés à nous imprégner des us et coutumes du pays, c’est en cela que nous nous sommes dit que tout compte fait, c’est bien gentil, mais un petit déjeuner sans sucre c’est un sacrilège, et que nous irons trouver du lait pour déjeuner à la française, non mais. Par chance, la prim’holstein est une bête adaptable (nous en avons vu entre les palmiers et les rizières, à notre arrivée), et le lait se trouve facilement ici : demi écrémé, entier, mais aussi sucré, en briques d’un litre décorées de vertes prairies et de cyprès. So Vietnam ! Et pour accompagner le lait, rien de tel qu’un pur jus de fruit 100% (c’est ce qui est marqué sur la bouteille) contenant 55% de fruit (c’est aussi ce qui est marqué sur la bouteille). Avec ce genre de détail (plus d’autres, par exemple certains aliments arborent fièrement un logo HACCP (argh, quid des autres ?!)), chaque bouchée, chaque gorgée devient une aventure alimentaire amusante, trépidante, voire épique.
Après un débarbouillage en règle, c’est l’heure de partir. Une collègue à Alexia nous a prêté deux vélos pour la durée de notre séjour, c’est très gentil à elle. Malgré la pollution, c’est bien pratique pour se déplacer, Hanoï étant une ville toute plate. Mais le plus difficile reste la circulation, quoiqu’en y regardant de plus près l’anarchie ambulante donne lieu à un trafic de vitesse limitée certes, mais fluide. Il n’existe apparemment pas de code de la route, mais à l’expérience il semblerait bien qu’il y ait une règle universelle de priorité à la personne devant vous (sans mentionner le coup de klaxon quand on se déporte, le coup de klaxon quand on double, le coup de klaxon quand on arrive à une intersection, le coup de klaxon pour avertir le piéton, etc.) (cliquez ici pour tenter votre chance sur notre épreuve de code Viet !). Malgré cela, nous avons déjà été témoins de trois accidents de gravité d’autant plus variable que l’on ne sait pas si la demi-sphère de plastique vendue à 1 € faisant office de casque a servi à protéger d’autre chose que d’une verbalisation.
Aux alentours de huit heures, je traverse la rue To Hieu, probablement en ébullition depuis un moment déjà. A côté de vendeurs réchauffant de grosses marmites à l’aide de brûleurs en terre cuite imprégnés au combustible, un bon nombre de hanoiens sont assis à des petites tables en plastiques posées ça et là sur le trottoir et engouffrent bruyamment un bol fumant de pho avant de partir travailler. D’autres, ayant probablement déjà déjeuné, préfèrent commander un banh mi à un autre vendeur à la chariotte. En face, des femmes achètent des ananas jeunes à d’autres femmes, leurs plateaux à balancier posés au sol tel un étal de primeurs. Certaines les prennent tels quels, d’autres les préfèrent épluchés et coupés en huit, probablement un en-cas apprécié. Dédaignant la circulation, certains conducteurs de cyclos s’y arrêtent comme nous le ferions à un drive, avant de repartir avec leur sachet de fruit frais suspendu au crochet casque de leur engin.
Une fois l’école et son agitation dépassée, la deuxième partie de To Hieu, longeant le lac Nghia Tan et rejoignant le boulevard Hoang Quoc Viet, est plus calme. Alors que côté lac, les coiffeurs et barbiers ambulants s’affairent à tailler les cheveux noirs et raides de leurs clients, côté rue les cafés accueillent des hanoiens d’apparence un peu plus aisée avant leur journée d’affaires. Avant de rejoindre le boulevard, la fin de la rue To Hieu accueille au moins une douzaine de cybercafés et salles de jeu dont les pancartes arborent fièrement les mots qui semblent faire le bonheur des joueurs du coin : « Playstation 3 » et « FIFA 2012 ».
Après avoir bravé la circulation du boulevard Hoang Quoc Viet selon les standards en vigueur, j’arrive en cours vers 8h30 à l’Université des Sciences et Technologies de Hanoï, située sur le campus de la Vietnam Academy of Science and Technology, dont je vous parlerai à l’occasion d’un prochain billet !
D’ici là, soyez sages ! J’espère que tout va bien pour vous.
Bisous!
P.S.: oui je sais, pas de photos dans cet article ! La lecture c’est bien aussi, et puis ça fait travailler le style d’écriture.
EDIT : bon, puisque vous avez été sages, voila une petite vidéo du trajet, pour vous mettre dans l’ambiance.
EDIT 2 : « petite vidéo » est un terme peu approprié, vu que le trajet dure un quart d’heure. M’enfin, je ne force personne à regarder, hein ! 🙂